MÉMOIRE DE ABOLISSONS LA PAUVRETÉ

1.  Il faut réduire le déficit en remédiant au problème des recettes et en ne se contentant pas de comprimer les dépenses

Les gouvernements de la plupart des pays développés, dont le Canada, s’évertuent à trouver un moyen d’éponger les dettes et les déficits qui résultent non seulement des billions de dollars qu’ils ont dépensés pour remédier à la crise financière et économique mondiale qui a débuté en 2008, mais également du recul des recettes fiscales provoqué par la crise économique.

Si l’on pense pouvoir réduire les déficits essentiellement en comprimant les dépenses, en particulier pour ce qui est des programmes sociaux et de l’aide internationale, cela risque de porter encore plus préjudice aux pauvres du Canada et aux peuples les plus pauvres et les plus vulnérables du monde en développement, qui ont déjà le plus souffert de la crise financière et économique à laquelle ils n’ont absolument pas contribué.

S’en remettre à la seule austérité pour réduire les déficits risque également d’accroître le chômage et la pauvreté au Canada, ce qui risque de précipiter le Canada dans une autre récession, alors que l’économie canadienne est déjà suffisamment stressée par les turbulences économiques de ses principaux partenaires commerciaux. Cela pourrait à son tour réduire les recettes fiscales, ce qui minera les chances de rétablir l’équilibre fiscal.

Les stratégies de réduction du déficit, si l’on veut qu’elles aboutissent, nécessitent également des mesures en vue d’accroître les recettes. Alors que la majoration des impôts sur le revenu des particuliers canadiens à revenu moyen et faible risque également de compromettre la faible relance de l’économie, il existe d’autres mesures fiscales novatrices qui méritent qu’on y réfléchisse.

La taxe sur les opérations financières (TOF), ou la taxe Robin Hood comme nous l’appelons, pourrait permettre de prélever des centaines de milliards de dollars à l’échelle mondiale qui pourraient servir à éponger les déficits dans les pays développés et à financer la réduction de la pauvreté et l’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement, ce que les pays donateurs semblent avoir de plus en plus de mal à faire.

En imposant une toute petite redevance (0,05 %) sur les opérations du marché financier, le secteur financier mondial, qui a le plus bénéficié des mesures de renflouement et de sauvetage et qui aujourd’hui paie beaucoup moins d’impôts que d’autres secteurs de l’économie, sera obligé de contribuer sa part équitable à l’effort de relance mondiale. La TOF offre en outre l’avantage de dissuader la spéculation excessive qui continue de déstabiliser l’économie mondiale aujourd’hui.

Alors que l’imposition d’une taxe sur les opérations financières comme le change étranger et les instruments dérivés négociés hors bourse devra sans doute se faire à l’échelle mondiale, une taxe sur les opérations financières pourra être imposée aux opérations boursières sans attendre l’accord du monde entier. Une taxe sur les opérations à raison de 0,5 % sur les actions négociées à la bourse TSX engendrera des recettes annuelles d’environ 3,5 milliards de dollars, sous réserve que cela aboutisse à une baisse de 50 % du volume et de la valeur des opérations. Cela équivaut à une taxe de 5 $ sur une opération d’une valeur de 1 000 $[i].

Sur l’ensemble des options génératrices de recettes que l’on peut envisager, une taxe sur les opérations financières est l’option susceptible de prélever d’importantes recettes sans que cela coûte grand-chose, sinon rien du tout aux contribuables ordinaires. Le Canada a tout intérêt à inviter d’autres partenaires commerciaux à adopter une approche plus équilibrée à l’égard de la réduction de la dette et du déficit, étant donné que les mesures de rigueur seront préjudiciables à la relance de l’économie et à la demande de nos exportations. Le Canada doit donc appuyer la proposition des gouvernements français et allemand d’une TOF au prochain Sommet du G20 qui doit avoir lieu en France. Alors qu’une partie des fonds prélevés pourra servir à éponger les déficits de l’État et à réduire la pauvreté à l’échelle nationale en plus de prendre des initiatives de création d’emplois, au moins 50 % des recettes d’une taxe mondiale sur les opérations financières pourront servir à aider les pays pauvres à atteindre Les objectifs du Millénaire pour le développement et à prendre des mesures d’adaptation et d’atténuation face aux changements climatiques.

2.  La dette et les déficits sont un diagnostic erroné; la rigueur un médicament qui ne convient pas. La pauvreté et le chômage ont besoin d’un plan de réduction de la pauvreté

La rigueur est une pilule qu’il est difficile d’avaler, en particulier pour ceux qui perdent leur emploi, ou qui sont tributaires des programmes d’aide sociale qui risquent de faire l’objet de coupures. Mais cela est d’autant plus irritant que nous savons que ce n’est pas le médicament qui convient. Pour guérir nos maux économiques, nous avons besoin d’un bon diagnostic et du médicament adapté. Le problème que connaît l’économie canadienne n’est pas tant l’endettement du gouvernement ou l’importance du déficit que la faiblesse de la demande des consommateurs et de la productivité qui découle d’un écart qui se creuse dans la répartition des revenus et le trop grand nombre de gens que l’on empêche de contribuer à l’économie dans toute leur mesure à cause de la pauvreté et du chômage. La réduction de la pauvreté par un plan de réduction de la pauvreté, avec le concours des gouvernements provinciaux et territoriaux, ne viendra pas seulement en aide à l’économie, mais permettra aux gouvernements d’économiser de l’argent sur certaines de leurs dépenses consacrées à la santé et aux prisons qui connaissent la croissance la plus rapide. Cela nous aidera également à faire face à une population vieillissante qui a besoin du plus grand nombre de gens possible dans la population active pour assurer leur subsistance.

L’un des meilleurs moyens de faire face aux difficultés de la pauvreté et du chômage est la mise en place d’un plan de réduction de la pauvreté. La majorité des provinces ont désormais adopté des stratégies détaillées de réduction de la pauvreté. Les gouvernements provinciaux n’ont pas compétence sur la totalité des instruments stratégiques qu’il faut pour réduire la pauvreté et finalement pour l’éradiquer. C’est la raison pour laquelle les gouvernements à tous les échelons, aussi bien provinciaux et territoriaux que municipaux et autochtones, doivent se mobiliser. Mais nous avons besoin du leadership du gouvernement fédéral pour mobiliser tous les ordres de gouvernement pour qu’ils élaborent une stratégie détaillée de réduction de la pauvreté pour le Canada.

C’est pourquoi Abolissons la pauvreté lance un appel au gouvernement fédéral pour :

1.    qu’il élabore un plan fédéral de réduction de la pauvreté qui complète les initiatives provinciales et territoriales de concert avec ceux qui vivent dans la pauvreté.

2.    qu’il adopte une loi fédérale antipauvreté qui assure la pérennité de l’engagement fédéral et permet de rendre compte des résultats.

3.    qu’il verse suffisamment de crédits fédéraux aux programmes qui garantiront un niveau de vie décent à tous les Canadiens.

Les stratégies de réduction de la pauvreté doivent comporter un éventail de politiques sociales et économiques, notamment des stratégies de développement économique communautaire et de création d’emplois, des programmes d’éducation et de formation, des politiques fiscales ainsi que des améliorations des programmes sociaux.

Parmi les éléments clés d’une stratégie de réduction de la pauvreté où le gouvernement fédéral peut exercer un leadership, mentionnons :

·         l’adoption d’une stratégie nationale sur le logement qui consistera à construire au minimum 25 000 unités d’habitations sociales par an (ce qui entraînera vraisemblablement des dépenses annuelles de 1,5 milliard de dollars);

·         la mise en place d’un programme national de garderie et d’éducation des jeunes enfants, qui aidera tout particulièrement les familles monoparentales à faible revenu à trouver un emploi;

·         l’amélioration du programme d’assurance-emploi pour qu’un plus grand nombre de ceux qui perdent leur emploi aient droit aux prestations et soient ainsi empêchés de tomber dans la pauvreté, dont il est difficile de se relever;

·         le rétablissement d’un salaire minimum fédéral qui sera fixé à 10,25 $ de l’heure et son indexation sur l’inflation pour s’assurer que quelqu’un qui travaille à plein temps peut échapper à la pauvreté;

·         la création d’un régime national d’assurance-médicaments qui assurera la couverture au premier dollar des médicaments sur ordonnance, ce qui supprimera un obstacle de taille à l’emploi des gens qui vivent de l’aide sociale;

·         la mise en place d’un plan visant à réduire la pauvreté chez les Premières nations et les Autochtones.

Le fait d’investir dans la réduction de la pauvreté et d’appuyer la participation au marché du travail par des stimulants positifs aura de nombreuses retombées économiques et sociales, notamment un relèvement de la productivité, l’amélioration de la santé des populations et la baisse des dépenses de santé, et la stimulation de l’offre de main-d’œuvre pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre à même de résulter d’une population active vieillissante.

Le rapport intitulé Plan fédéral de réduction de la pauvreté : Travailler en partenariat afin de réduire la pauvreté au Canada, publié par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, recommandait d’agir sur bon nombre de ces mesures et il mérite d’être examiné et suivi des faits.

3.  Il ne faut pas réduire le déficit sur le dos des plus démunis; il faut accroître les aides et non pas les bloquer

La réduction du déficit ne doit pas se faire sur le dos des plus démunis de la planète. Or, c’est précisément ce que fait le gouvernement canadien en gelant le budget d’aide après maintes années d’augmentations annuelles de 8 %.

En dépit de la période économique difficile que nous traversons, on constate une très forte volonté publique au Canada d’en faire plus pour éradiquer la pauvreté à l’échelle mondiale. Plus de 300 000 Canadiens ont signé l’appel lancé par Abolissons la pauvreté pour un accroissement et une amélioration de l’aide, une justice commerciale, l’annulation de la dette et l’éradication de la pauvreté des enfants au Canada. Selon un sondage Angus Reid réalisé pour Abolissons la pauvreté et publié le 23 juin 2010, 61 % des Canadiens sont d’avis que leur pays doit majorer le montant d’argent consacré à l’aide internationale. Soixante-deux pour cent des Canadiens pensent également qu’il n’est pas réaliste pour le Canada de geler son budget d’aide et s’attendent toujours à ce que le pays tienne ses engagements internationaux[ii].

Il existe un plan mondial visant à réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à 2015. En 2000, les dirigeants du monde ont adopté Les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et ont promis de « ne ménager aucun effort » dans la lutte pour mettre un terme à la pauvreté. Les OMD sont des normes minimums qui sont réalisables avant la date cible de 2015.

Au cours des 10 ans qui se sont écoulés depuis que ces buts ont été fixés, de nets progrès ont été enregistrés. Mais avec seulement quatre années qui restent avant la date cible de 2015, les progrès réalisés jusqu’ici sont aujourd’hui menacés par la crise des prix des aliments, les changements climatiques et la crise financière et économique mondiale. À moins que nous ne redoublions d’efforts, nous ne pourrons pas atteindre ces buts, et cela aura des conséquences tragiques sur les habitants les plus vulnérables de la planète.

Mais le Rapport canadien 2010 sur Les objectifs du Millénaire pour le développement affirme que la contribution du Canada est loin de ce qu’il faut pour parvenir à l’éducation primaire universelle (objectif 2), améliorer la santé maternelle (objectif 5) et assurer la durabilité de l’environnement (objectif 7). Pour ce qui est de sa contribution au partenariat mondial pour le développement (objectif 8), le Canada soutient mal la comparaison avec d’autres pays développés sur le plan des dépenses consacrées à l’aide à l’étranger en pourcentage de son revenu national. Il se classe actuellement au 14e rang des 23 pays donateurs et est bloqué à moins de la moitié de la cible d’aide fixée par l’ONU à 0,7 %. Le rapport met en garde en disant que le gel annoncé de l’aide au niveau de 2010 ne fera qu’aggraver cette situation[iii].

4.  Recommandations

Le budget fédéral de 2012 doit :

1.    préconiser la taxe sur les opérations financières pour recouvrer l’argent consacré par les gouvernements aux mesures de renflouement et de relance et pour percevoir des fonds qui font actuellement défaut à l’échelle mondiale pour atteindre Les objectifs du Millénaire pour le développement et aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques.

2.    prendre l’engagement de concevoir et de mettre en œuvre un plan fédéral de réduction de la pauvreté qui complète les initiatives provinciales et territoriales, de concert avec ceux qui vivent dans la pauvreté.

3.    prévoir un calendrier de hausses annuelles de 15 % pour l’aide officielle au développement afin d’atteindre la cible de 0,7 % de l’ONU du RNB en l’espace de 10 ans pour que le Canada puisse verser sa juste part et atteindre les OMD d’ici à 2015.


[i]       Sanger, Toby, Fair Shares, How Banks, Brokers and the Financial Industry Can Pay Fair Taxes, Centre canadien de politiques alternatives, avril 2011.